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Les sciences de l'Homme en Afrique

Objectifs

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Constatant le déficit d'universalité dont souffre la recherche française en sciences de l'Homme et de la société (SHS) le Conseil national des sciences humaines et sociales a notamment attiré l'attention sur les dangers d'une instrumentalisation de la recherche qui laisse place à l'indifférence et au retrait, comme on peut le voir sur le cas de l'Afrique francophone; le redéploiement nécessaire d'institutions telles que l'Institut de Recherche et Développement (IRD ex-ORSTOM) sur des aires culturelles nouvelles ne doit pas se traduire par l'abandon, mais par le renouvellement de la coopération scientifique avec ces pays; ce renouvellement est un enjeu majeur de la politique scientifique dans nos disciplines. Sur la base de ce diagnostic, le Conseil des sciences humaines et sociales a notamment recommandé la mise en oeuvre d'une politique de grands équipements scientifiques dans le domaine des recherches sur l'étranger.

Dans les perspectives ainsi tracées, le cas de l'Afrique noire mérite d'être abordé prioritairement. L'Afrique est le seul continent où le français conserve une place significative dans le système scolaire et universitaire. Il y a là un vivier d'intelligences et de talents que l'Université française a tout intérêt à ne pas méconnaître. L'Afrique (francophone, anglophone ou lusophone) est aussi un vivier de savoirs sur l'Homme menacés de disparition par l'absence de grand corpus écrits dans lesquels ils seraient fixés.

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Or en ce domaine comme dans les autres (situation sanitaire et économique), la tendance est à l'abandon pur et simple des pays africains à leur sort et à l'effondrement des structures héritées de l'époque coloniale ou post-coloniale. La recherche africaniste est en pleine restructuration et ne comble pas le besoin d'une recherche africaine qui répondrait aux besoins des africains eux-mêmes, c'est-à-dire qui leur permettrait d'assimiler la modernité au lieu d'être détruits par elle. Il y a un paradoxe en Afrique : il existe en SHS à ce jour et notamment en droit, un vivier important de chercheurs et enseignants africains qui ne parviennent cependant pas à prendre en mains leur propre destin en raison à la fois de problèmes internes, de questions budgétaires et de dépendances vis à vis de la production normative et intellectuelle du nord. Le maigre effort financier consenti pour la recherche en Afrique conduit encore trop souvent, aujourd'hui comme hier, à exporter en Afrique des thématiques à la mode en Occident et non pas à permettre aux africains de se saisir eux-mêmes des problèmes qui sont les leurs. D'où l'attraction qu'exercent aujourd'hui sur les chercheurs africains, jeunes ou déjà reconnus, les Universités américaines qui, pour faire face à la demande de leur public étudiant, s'emploient à développer en direction de l'Afrique leurs programmes d'enseignement et de recherche. Une attraction dont il ne faut pas négliger les aspects positifs. Elle a contribué à désenclaver l'Afrique et à la libérer de liens trop exclusifs avec les anciennes puissances coloniales, Et elle a eu également pour résultat de multiplier le nombre de chercheurs africains francophones qui maîtrisent aussi l'anglais, donc à créer les conditions pour la formation en Afrique de réseaux de coopération et de recherche réunissant anglophones et francophones. Réseaux qui peuvent être élargis sans difficulté à l'Afrique lusophone, impliquée dans le même processus, et désormais habituée à se tourner aussi bien vers les Etats-Unis que vers la France.

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Un effort important et spécifique doit donc être consenti par la France en direction de l'Afrique dans le domaine des SHS. Mais une telle politique suppose de réfléchir en amont aux conditions institutionnelles et financières d'une recherche conduite par et pour les africains. C'est dans ce contexte que les Maisons des sciences de l'Homme de Nantes, Bordeaux et Paris se sont associés pour développer sur une durée de 18 mois une étude finalisée, (en s'appuyant sur les travaux, rapports et études déjà réalisés ou en cours de réalisation par les différentes structures gouvernementales ou de recherche) qui débouche sur des propositions d'action concrètes susceptibles d'être mises en oeuvre par les ministères de la recherche et de l'enseignement supérieur ainsi que par les universités et les grands organismes de recherche. Cette étude, qui doit bénéficier d'un premier financement dans le cadre du réseau des Maisons des sciences de l'Homme, débouchera sur un colloque international sur "les sciences de l'Homme en Afrique", qui se tiendra dans la dernière semaine de novembre 2002. Elle comporte trois aspects.

  • Un premier aspect consistera à dresser un état des lieux de la recherche en sciences humaines dans un certain nombre (à déterminer) de pays africains et un bilan des dispositifs d'aides existant. Cette investigation ne se limitera pas à un inventaire, mais comportera un aspect qualitatif, d'évaluation du fonctionnement réel des institutions et moyens existant.

  • Un second aspect consistera à identifier de nouveaux modes de coopération scientifique, susceptibles de structurer sur la longue durée un véritable partenariat de recherche entre institutions françaises et étrangères. Ces dispositifs devraient permettre d'apporter des réponses aux questions suivantes :

    1. - accès des jeunes doctorants et post-doctorants africains à des formations par la recherche de qualité
    2. africains (recrutement, carrière, indépendance, etc.)
    3. - accès aux ressources documentaires, par le développement parallèle de bibliothèques de recherches et de centres informatiques permettant d'entrer en contact avec les partenaires étrangers, avec les instruments bibliographiques et avec la littérature scientifique numérisée. (il faudra rechercher les raisons des échecs essuyés par les efforts conduits jusqu'à présent en ce domaine)
    4. - mobilité des chercheurs en formation et confirmés
    5. - détermination des programmes de recherche prioritaires
    La réponse à ces questions peut passer par des dispositifs de partenariat avec des institutions de recherche française ou européenne. Sans que cette liste soit limitative, ce partenariat pourrait prendre par exemple la forme des dispositifs suivants:

    • - d'implantation en Afrique d'institutions de recherche à vocation multinationale et dotées des moyens juridiques et financiers propres à garantir leur qualité et leur autonomie (Maisons des sciences de l'Homme, Instituts d'études avancées, Ecoles doctorales, etc.);
    • - de diplômes à multiple sceau associant des professeurs français et africains (cf. l'expérience du diplôme interuniversitaire sur les droits de l'Homme auquel participent actuellement les universités de Nantes et de Paris-X, qui mobilise les nouvelles technologies de l'information avec le soutien de l'Agence Universitaire de la Francophonie Ðex Aupelf-Uref);
    • -de programmes de bourses de recherche réservées à des doctorants et à des post-doc africains;
    • - de l'invitation régulière en France d'universitaires africains pour leur permettre de tisser des liens durables avec leurs collègues français et européens, et de compléter ou mettre à jour une information bibliographique rendue aujourd'hui difficile par le double déficit dont ils souffrent en matière de bibliothèques et d'accès à internet.
    • - de postes universitaires à double sceau pour des chercheurs enseignant partiellement en France et partiellement en Afrique;
    • - de ressources documentaires communes faisant ou non appel aux nouvelles technologies
    • - de la création en France d'une Maison de l'Afrique, qui pourrait jouer un rôle de coordination et de mise en réseau des ressources nombreuses existant sur l'Afrique en France et servir de plaque tournante pour l'accueil des africains en France.
Les avantages et les inconvénients de ces différentes formules devront être analysés, et les conditions de leur succès précisés.

  • Un troisième aspect consistera à soutenir des réseaux franco-africains de chercheurs sur des thèmes de recherche jugés prioritaires.

    • L'un de ces thèmes concernera le droit et les institutions. La question institutionnelle est cruciale pour l'Afrique qui, à la différence des autres grandes civilisations, n'a pas de grand corpus de textes à opposer à la dogmatique occidentale et se trouve dès lors placée devant le dilemme de la folklorisation ou de la disparition de sa culture propre. Il conviendrait de donner aux juristes africains les moyens de se réapproprier et d'actualiser leur patrimoine coutumier et d'y puiser des matériaux propres à opérer des synthèses originales avec le droit exporté d'occident. Autrement dit, il s'agit de permettre une conversion des savoirs anthropologiques sur l'Afrique en ressources institutionnelles et de sortir des impasses où conduit l'imposition exclusive du modèle juridique occidental. Ce type de recherches devrait permettre de favoriser l'éclosion d'une génération de juristes africains capables de marier culture africaine et modernité, sur le modèle de ce qui a été si remarquablement réussi dans le domaine de la musique ou des arts plastiques. Ce travail sera entamé sur deux ou trois terrains précis, en privilégiant les études de cas.

    • D'autres thèmes viendront s'ajouter à celui-ci en fonction des ressources et des pôles d'intérêt des Maisons des sciences de l'Homme impliquées dans le projet. En particulier des secteurs disciplinaires pour lesquels l'Afrique a longtemps été un «objet» de recherche pour des spécialistes extérieurs, et que ses chercheurs ont besoin de se réapproprier, sans pour autant rompre avec le milieu scientifique international : linguistique, sociologie, anthropologie, histoire, science politique et économie, etc.)

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Cette réflexion de politique de recherche sera conduite sur la base de l'expérience concrète de réseaux de chercheurs impliquant des chercheurs africains. Il s'agit de réseaux déjà existant ou en cours de formation, auxquels participent des chercheurs des Maisons des sciences de l'Homme engagées dans le programme. Il a été procédé à un premier recensement des réseaux ainsi susceptibles d'être mobilisés. Chacun des réseaux ainsi impliqué dans le programme sera invité à animer un atelier consacré à ses travaux lors du colloque final de novembre 2002

Dans la mesure du possible, les dispositifs d'aide à la recherche que le programme vise à évaluer seront testés en vraie grandeur dans le cadre des réseaux de chercheurs ainsi mobilisés.

Ces expériences en vraie grandeur et bien ciblées porteront sur

  • L'invitation de chercheurs-invités sur «Êchaire partagéeÊ» (en s'appuyant sur les possibilités d'invitation des professeurs étrangers)
  • L'organisation d'une session d'École doctorale (au centre de Porto-Novo)
  • L'accueil de jeunes chercheurs africains sur des bourses doctorales ou post-doctorales

Sur chacun des ces points, chacune des Maisons des sciences de l'Homme s'efforce de mobiliser, en sus des ressources de l'ACI, les siennes propres ou celles des universités auxquelles elle est liée.