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Dynamiques africaines et mondialisation

Problématique

L'Afrique dans la diversité qui caractérise à la fois ses territoires, ses systèmes politiques, légaux, sociaux et économiques, n'échappe pas plus que d'autres continents à la mondialisation c'est-à-dire l'irruption systématique et généralisée - bien qu'à des degrés de densité variables - à tous les niveaux et dans tous les aspects de la vie sociale d'enjeux, de modalités d'organisation, de représentations, de modèles culturels et de savoirs, d'outils et de ressources, de biens et de services produits au nord conduisant à réduire les espaces d'autonomie de l'Etat nation et à favoriser la constitution de rapports sociaux et économiques contournant les territoires et s'appuyant toujours plus sur des réseaux qui donnent naissance à de nouvelles représentations du monde en partie non territorialisées.
Ainsi définie la mondialisation se caractériserait par deux traits révélateurs :

  • d'un côté, un changement d'échelle des pratiques sociales au sens large, qui fonde une relecture du principe de territoire au profit de notions nouvelles, de réseaux, d'espaces, de structures archipélagiquesÉimposant de dresser une sorte de nouvelle cartographie des cheminements et des espaces des symboles et des matières de la mondialisation ;

  • de l'autre, et en dépit d'une réglementation de plus en plus générale, le caractère fondamentalement inégal des échanges, tous les partenaires ne contrôlant pas au même degré les flux qui parcourent la planète.

Comme toute dynamique sociale, la mondialisation s'inscrit comme producteur d'un agencement de nouveaux rapports sociaux et comme produit de ceux ci. L'émergence de nouvelles technologies, la circulation de nouvelles ressources, de modèles, de techniques, de savoirs ou encore des idéologies qui les sous-tendent, ouvrent de nouvelles opportunités et génèrent de nouveaux besoins qui sont l'enjeu de nouvelles stratégies et qui tendent à modifier les rapports sociaux et les configurations territoriales (espaces inclus, exclus, lacunaires, en archipel...) lesquels à leur tour contribuent à mettre en forme la mondialisation. En bref, la mondialisation induit à la fois une uniformisation et une différenciation, un peu à la manière de la diffusion linguistique et culturelle qui vient homogénéiser un ensemble mais sans pouvoir réduire les différenciations.

Comme le notent depuis plusieurs années désormais organisations internationales et auteurs la mondialisation s'accompagne d'une différenciation permanente des modèles importés, de leurs instrumentation par des stratégies d'acteurs très complexes parce qu'utilisant désormais les nouveaux niveaux de possibilités produits par la mondialisation (niveaux territoriaux : local, national, régional, international ; niveaux sectoriels liés à la différenciation des activités ; niveaux inventés par les réseaux...). La mondialisation conduit aussi à la mobilisation des acteurs politiques et sociaux qui tendent à se reconstruire selon d'autres logiques empruntant à la différence et à l'uniformité. Mieux, elle rétroagit sur les sociétés mêmes qui lui ont donné ses conditions de possibilités (nord), en venant leur imposer des obligations nouvelles, les contraindre à accepter les principes nécessaires à la mondialisation, y compris dans des secteurs d'activité, voire des territoires dont les caractéristiques ne permettent pas de résister aux dynamiques ainsi lancées. Pour interpréter ces dynamiques locales de la mondialisation à partir des cas africains, il conviendrait de partir du mouvement ternaire que semble suivre ce phénomène.

  • D'abord, la mondialisation (telle que définie plus haut et en tant que produit devenant autonome d'une multitude d'actions sociales éparses) tend ainsi d'une part à imposer des modèles, des modes de gestion, des principes de gouvernement, des formes institutionnelles, des cosmogonies ayant vocation à s'imposer comme des référents communs. Elle impose de nouvelles configurations de l'espace, de nouvelles articulations entre des locaux et un global redéfinis, des pratiques sociales innovantes, de nouveaux enjeux, de nouveaux lieux et outils de pouvoir et une réinterprétation des espaces, des flux et des territoires ; elle uniformise les formes des institutions de régulation de l'activité sociale ; elle diffuse des cosmogonies nouvelles sur une échelle et à un niveau de densité jamais atteint, parce que touchant désormais tous les espaces sociaux et les territoires ; elle contribue à l'explosion des logiques de réseaux, à l'universalisation des problématiques de recherche et de gestion de l'activité humaine (régulation économique internationale, régulation juridique internationale, régulation sanitaire internationale). Ces processus de diffusion se réalisent en Afrique dans des espaces très contrastés et notamment dans des contextes où le rural et le paysan demeurent, en dépit d'une urbanisation croissante, les références de l'essentiel de la population. On prendra garde de ne pas oublier que cette mondialisation se traduisant en Afrique en partie par le « dégraissage » des Etats et les dérégulations, l'un de ses effets majeurs est de conduire dans certains endroits à un retour du rural et du paysan et à la disparition physique de l'Etat.

  • Ensuite, ces innovations viennent perturber les modes de gestion locaux, générer des relectures, ouvrir de nouvelles opportunités d'action pour les acteurs qui se lancent dans des actions amplifiées de "forum shopping". Elles contribuent ainsi à faire émerger de nouvelles dynamiques remettant en cause les formes traditionnelles sur lesquelles s'organisait jusque là toute vie publique, en affaiblissant l'Etat wéberien et le territoire wesphalien au profit des logiques de réseaux, de la constitution de parties privées prenant en charge des secteurs entiers de l'espace public. Le type de mobilisation collective que le sida provoque, en particulier parmi les jeunes ou au sein d'associations de femmes dans les pays subsahariens, en est un bon exemple. Les acteurs locaux investissent à tous les niveaux les nouvelles ressources ainsi offertes par la mondialisation. Il en résulte une reconstruction des rapports sociaux, un peu à la manière dont la monétarisation ou l'arrivée de nouveaux types de cultures venaient bouleverser le rapport cadets sociaux / aînés, mais de manière beaucoup plus systématique et beaucoup plus diffuse.

  • Enfin, la mondialisation, ainsi vécue, donne naissance à des pratiques fortement différenciées en fonction des trajectoires suivies par chaque Etat et chaque groupe d'acteurs sociaux et en fonction de la situation de ces forces sociales. La mondialisation se décline au point que, suivant en cela les anthropologues du droit, il est fort judicieux de constater que ses formes s'accompagnent désormais d'un développement de pratiques fort différentes et aux significations très éclatées. Dans le même temps, elle donne naissance à la constitution de mouvements sociaux qui viennent rénover la vie politique interne de chaque Etat, voire discuter les formes et les enjeux de la mondialisation en cours.

Il y a donc à la fois imposition d'un nouveau système de relations internationales par une mondialisation imposée par les intérêts du nord (ou du centre) et investissement de ce nouveau système de relations par des mouvements sociaux qui s'organisent selon des règles non prévues par les propres promoteurs du "village planétaire". La mondialisation conduit, en faisant apparaître de nouvelles opportunités, à redéfinir les rapports sociaux, à restructurer les rapports unissant les forces sociales (fin du mythe de la classe moyenne), à redéfinir les lieux de polarisation des stratégies d'acteurs et à en multiplier les niveaux, à accroître la marginalité d'une partie de la société. Ainsi en Afrique, la mondialisation s'exprime t-elle en partie par la capacité de certains groupes sociaux et de certains acteurs à définir leur activité dans ce cadre, à y inscrire leurs stratégies d'enrichissement et de pouvoir. C'est ce que montrent les études sur le développement des réseaux maffieux internationaux mais aussi, sans aller tout placer sous le sceau de la criminalité, des réseaux de commerce internationaux échappant ainsi aux règles nationales existantes ; c'est ce que montrent aussi les études de sociologie de l'éducation soulignant comment s'accélèrent les flux de brain drain avec de nouveaux aspects la mondialisation permettant de rester sur le local pour y prendre une position de pouvoir tout en fondant la légitimation de ce pouvoir sur le marché mondial. Inversement, la mondialisation conduit à une marginalisation active d'une grande partie de la population, transformant les conceptions de la pauvreté et venant lui donner de nouvelles significations sociales.

Composition de l'Atelier

Responsable scientifique :

  • Annie CHENEAU-LOQUAY, directrice de recherche au CNRS, CEAN Bordeaux ;

Rapporteur:

  • Dominique DARBON, maître de conférence, université Montesquieu-Bordeaux IV, CEAN

Participants :

  • François BART, professeur, université Michel de Montaigne, Bordeaux 3, DYMSET ;
  • Alioune FALL, professeur, université de Strasbourg, CERDRADI ;
  • Cyriaque PARÉ, attaché de presse à l'ambassade du Burkina Faso à Paris ;
  • Noble AKAM, maître de conférence, université Michel de Montaigne Bordeaux 2, CEM ;
  • Comi TOULABOR, chargé de recherche, FNSP, CEAN ;
  • Amadou BOUREIMA, professeur, université de Niamey ;